Alexandre Dumas et le château de Chazelet

"Le docteur mystérieux", suivi de "La fille du marquis" sont deux romans d'Alexandre DUMAS dont l'intrigue débute et se termine au Château de Chazelet, par deux chapitres consacrés au château. Alexandre DUMAS rédige ces romans à Bruxelles en 1852, avec l'aide de son ami et poète Alphone ESQUIROS qui séjourna dans sa jeunesse au château, accueilli par le Comte de Tilières. 

Ecrits à Bruxelles lors de son exil, ces deux romans qui devaient paraître dans le Journal es Mousquetaires, seront finalement édités à titre posthume en 1872. 

En 1854, Alexandre DUMAS se rend au château et rencontre le Comte de Tilières. Le Comte lui offrira une belle tapisserie ancienne en soie et argent de la Dame à la licorne. Alexandre Dumas vendra plus tard cette tapisserie à Victor Hugo. On peut imaginer que ce cadeau était un remerciement à l'auteur pour avoir avoir écrit ce roman. Alexandre DUMAS, écrivant CHAZELET  avec ET à la fin dans le manuscrit original conservé de l'oeuvre, décida de le publier sous le nom de Chazelay pour laisser un peu d'anonymat à ce lieu "enchanté" comme l'écrira le poête Esquiros,  

Cet ensemble est connu sous le nom de "Création Rédemption" dans l'oeuvre de DUMAS.


Synopsis du Docteur Mystérieux
Médecin installé depuis trois années à Argenton, dans la Creuse, Jacques Merey préfère soigner les petites gens et refuse une patientèle riche et noble. S'il est apprécié des pauvres, il est aussi décrié, car ses méthodes ne sont pas en concordance avec celles de ses confrères. Ainsi il hypnotise des malades et surtout des blessés afin de prodiguer les premiers soins sans être importuné par les cris de douleur de ses patients, et pouvoir opérer en toute tranquillité d'esprit, aussi bien pour lui que pour celui qui les reçoit. Et bien entendu, certains n'hésitent pas à propager la rumeur d'une quelconque sorcellerie de sa part tandis que d'autres ne cessent de louer son humanisme.
En ce 17 juillet 1785, des gens du château de Chazelet sont dépêchés par le seigneur du lieu afin qu'il mette fin à la terreur qu'inflige un chien enragé dans la cour de la demeure. Il n'a pas l'intention de se déplacer mais Marthe, sa vieille servante, lui demande de rendre ce service, malgré son antipathie envers le marquis, car des valets et des paysans sont susceptibles d'être mordus par le canidé enragé.
Celui qui se définit comme le médecin des pauvres et des ignorants parvient à maîtriser le chien en le regardant fixement dans les yeux et afin de lui épargner la vie, le recueille. L'animal se montre affectueux envers ce nouveau maître et quinze jours plus tard, l'entraîne au cœur d'une forêt proche d'Argenton jusqu'à une cabane. Vivent là un bucheron, braconnier à ses heures, et sa mère. Scipion, puisqu'ainsi se nomme le chien, leur fait fête mais surtout Jacques Merey aperçoit acagnardée dans un coin, une enfant.
Il l'a ramène chez lui et en compagnie de Marthe la soigne, l'éduque, car Eva, ainsi décide-t-il de la prénommer, est une innocente, une idiote, qui ne parle pas et semble ne pas comprendre ce qu'on lui dit. Les seuls mouvements de sympathie, d'affection qu'elle montre, le seul sourire qui éclaire sa face, sont destinés à Scipion qui lui-même ne ménage ses démonstrations de joie à retrouver la gamine de sept ou huit ans. Chez lui, avec l'aide de sa fidèle Marthe et de Scipion, Jacques Merey va apprivoiser l'innocente, lui délier la langue, lui apprendre ensuite à lire, à jouer du piano, bref à transformer la chrysalide en un magnifique papillon, en employant des procédés innovants pour l'époque, comme l'électrothérapie. Et l'affection ressentie par le médecin envers sa jeune protégée se transforme peu à peu en un doux sentiment amoureux qui est partagé....

Portrait d’Alexandre Dumas en 1855 par Nadar
Portrait d'Alphonse Esquiros en 1869

Alphonse Esquiros

De sa collaboration avec Alexandre Dumas, le poète Alphonse Esquiros lui transmettra sans nul doute son souvenir de jeunesse du Château de Chazelet.

Dans son recueil de poésies "Les hirondelles" daté de 1834, on y retrouve un très beau poème sur le Château, adressé au Comte de Tilières:

 
Le château de Châzelet

à m. de tilière

Loin de moi, monumens aux modernes arcades,
Le temps n’a rien écrit sur vos jeunes façades ; 
Pour vous point d’écusson gravé ;
Vous n’avez point au front de rides vénérables,
Et sous l’abri pompeux de vos toits misérables 
Le passant n’a jamais rêvé.


Nés d’hier, vous manquez du lustre des années 
Que l’âge met partout aux têtes surannées ; 
Vous n’avez pas de vert manteau ;
On vous a vu bâtir : on croit entendre encore 
Crier la dent d’acier sur la pierre sonore,
Et retomber le lourd marteau.

J’aime en un ciel brumeux une tourelle antique,
Où l’on croit voir errer une ombre fantastique ;
Où jadis quelque prisonnier
Sortait par les créneaux une tête livide :
Où maintenant encor, dans une chambre vide,
À minuit, il revient prier.

J’aime ces vieux castels où s’abat la corneille ; 
Où dans de grandes cours le bruit du cor s’éveille ; 
Où l’herbe verdit les créneau ;
Où dans une onde pure au cours lent et débile,
Deux tours jettent au loin leur image mobile 
Sur la surface des canaux.

Je t’aime, Châzelet, aux gothiques tourelles,
Quand tu lèves, le soir, tes cinq têtes jumelles 
Dans un horizon nébuleux ;
Car la rouille des ans dont ton front se couronne,
Pour mieux sympathiser, veut un ciel qu’environne 
Du soir le voile merveilleux.


Le ramier y soupire une plainte fidelle ;
Les vitraux effleurés reflètent l’hirondelle ; 
Et sous son toit inhabité,
Les corneilles d’hiver à la voix prophétique 
Les oiseaux fatigués d’une course aquatique,
Réclament l’hospitalité.

Son blazon effacé, ses balcons solitaires,
Ses voûtes se courbant sur des salles austères,
Son front simple et mystérieux,
Ses escaliers obscurs et grimpant en spirale,
Ses cinq tours aiguisant leur flèche orientale,
Tout me charme et parle à mes yeux.

Je crois que depuis peu, venu de Palestine,
Et tirant de son cor une voix argentine,
S’arrête un jeune chevalier :
Que dans ses cheveux noirs le vent du nord murmure 
Et que, faisant frémir l’acier de son armure,
Il monte, en tournant, l’escalier.

J’aperçois en esprit la jeune châtelaine,
Entrouvrant, pour le voir, ses fenêtres, à peine ; 
Pâle et rougissant tour à tour ;
Laissant baiser sa main, et de ses doigts timides 
Otant au chevalier ces pesantes chlamydes 
Qu’allège trop souvent l’amour.


Et puis, j’aime à me croire un magique trouvère,
Charmant, par ses accords, la dame peu sévère ;
Pour elle enlaçant ses couplets ;
Mariant la musique avec la poésie,
Et dans l’ombre à travers la verte jalousie,
Lui glissant de furtifs billets.

Quand, dans les souterrains, notre lampe docile 
Jette sur les murs noirs sa clarté qui vacille ;
Quand on soulève les verroux,
Je crois entendre encor la voix d’une captive,
Ou d’un vieillard en pleurs, pour qui la mort arrive, 
Qui crie : ayez pitié de nous !
 
Ce ne sont cependant que ces châteaux gothiques 
Qu’on peut peupler ainsi d’images fantastiques ;
Les ombres des grands chevaliers
Viennent errer, la nuit, sur leur front solitaire,
Et de vieux souvenirs planent avec mystère 
Près de leurs gothiques piliers.

II


Qui donc a sur ton front mis ces voiles funèbres,
Pourquoi ce long silence habitant sous les tours,
Ces vitres sans lumière au milieu des ténèbres,
Ces coursiers oubliés, et naguère célèbres,
Cette herbe qui croît dans tes cours ?


Le passant qui, de loin, voit ta face ternie,
Entre les bois touffus et les peupliers verts,
Croit que dans tes donjons, la vieille tyrannie 
Voudrait encor renaître ; ou qu’un mauvais génie 
Habite sous tes murs déserts.

Passant, monte avec moi ces marches sans lumière,
Et regarde là-bas ces champs encor fleuris :
Ne vois-tu pas blanchir l’enclos du cimetière ;
Contemple ce gazon, cette tombe sans pierre ; 
— C’est ici que repose un fils !

Ô ma muse, toujours à la douleur fidelle . 
Priant, échevelée auprès des vieux tombeaux,
Ici, voile ton front des plumes de ton aile ; 
Renferme dans ton cœur une plainte éternelle. 
De peur d’éveiller des sanglots !
 
III.


Adieu, château que j’aime, aux tourelles gothiques, 
Qui m’accordas les droits de l’hospitalité,
Comme jadis Ferrare, en des temps héroïques,
Du Tasse encore errant reçut la pauvreté :

Adieu, charmant pays, où, quand le jour s’éveille,
Je venais sous les bois chanter avec l’oiseau, 
Où la muse, tout bas, parlait à mon oreille 
Et sa main dans la mienne entrait sous un berceau


Adieu, champs moissonnés, adieu, verte prairie,
Adieu, temple rustique entouré de troupeaux,
Où la foi s’agenouille, où l’innocence prie,
Où les morts, les vivans vont chercher le repos ;
 
Adieu, coursiers fougueux, adieu blanche cavale,
Adieu dogues dans l’ombre, accourant à ma voix, 
Des ondes de Blandus ! ô fontaine rivale,
Parc ombragé de pins, doux silences des bois ;

Adieu, nids des oiseaux et vous blanches colombes,
Qui baignez votre plume aux ondes du lavoir. 
Chaumières du hameau, sombre asile des tombes ;
— Avant que de mourir, puissé-je vous revoir !
 
Puissé-je, lorsque l’âge aura courbé ma tête,
Venir près de ce port abriter mes vieux ans,
Et, comme un nautonnier, lassé de sa tempête,
Aux rameaux toujours verts mêler mes cheveux blancs.

Vous serez loin alors, ô mes jeunes années,
L’ombre de ces vieux murs noircira mon vieux front,
Et détachant, du doigt, mes guirlandes fanées,
Je serai près d’aller où les autres iront.

Lors je vous relirai, vers, avec complaisance,
J’irai, dans ces beaux lieux, chercher un souvenir,
Je dirai : c’est bien là que s’assit mon enfance 
Et dans le temps passé je croirai rajeunir.


Terre qui me reçut, écoute ma prière,
Quand j’irai, de tes champs admirer la beauté,
Ne me refuse pas, au bout de la carrière,
Une longue hospitalité !

Mai 1833.















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